Le bimestriel
BREIZHmag (www.breizhmag.com) propose dans sa cinquième édition (avril-mai) un entretien exclusif de Didier Pillet, Directeur de l’information du journal Ouest France. Une interview dans laquelle le patron du premier journal de France ne mâche pas ses mots…
Ses propos méritent d'être largement diffusés, ce qui je fais ici avec l'aimable autorisation de la rédaction de
BREIZHmag.
Didier Pillet : Directeur de l’information de Ouest-France« Quand on vous dit que la culture de votre père, de votre grand-père ne vaut rien, vous ne pouvez pas être heureux. »Propos recueillis par Erwan Le Courtois // Photos : Romain Joly, sauf mentionDepuis 2005, Didier Pillet est Directeur de l’information du premier journal métropolitain. Un Directeur formé à l’école Ouest-France, quotidien au sein duquel il a réalisé la quasi intégralité de sa carrière. Rentré en 1969 à la rédaction de Honfleur, il va gravir tous les échelons, jusqu’à devenir Rédacteur en Chef du prestigieux journal en 1991. Un poste qu’il occupera pendant quatorze années, marquant ainsi le journal de son empreinte.Très loin de la langue de bois, il livre ici sa vision de
Ouest-France, et de la Bretagne. Décapant...Comment expliquer que Ouest-France soit le premier journal de France par ses ventes ?La Bretagne est une région dans laquelle le journal est partie prenante de la vie. Certains journaux sont politiques, d’autres ont été conçus pour gagner de l’argent.
Ouest-France, lui, s’est donné pour objectif de servir les gens vivant en démocratie. Le miracle, c’est que ce projet fédère toujours, 100 ans après sa création.
Quel est ce projet ?Servir la démocratie, animer le débat, c’est essentiel.
Ouest-France a les moyens de ses ambitions puisqu’il appartient à une association à but non lucratif. Ce journal ne peut générer du profit pour verser des dividendes à des actionnaires. Tous les bénéfices sont réinvestis dans l’entreprise. Les Bretons dépensent beaucoup d’argent dans les journaux et les magazines. Nous considérons que le prix du journal est cher, c’est pourquoi nous ne l’avons pas augmenté depuis juillet 2001!
Comment triez-vous l’information pour refléter la vie locale dans le journal ?Les équipes rédactionnelles cherchent chaque jour un point d’équilibre entre les informations que souhaitent communiquer les institutions, les associations, les entreprises, certains particuliers et les faits qu’elles observent et dont elles considèrent qu’ils témoignent de nos manières de vivre ensemble, d’évolutions qui ne sont pas directement visibles, d’innovations dont il faut débattre, etc. Chaque rédaction est autonome sur son territoire. Chaque territoire ayant son histoire, sa culture, sa vie sociale, ses projets et problèmes propres, nos éditions sont à la fois semblables par la manière humaine et respectueuse d’aborder les sujets, et différentes par les spécificités qu’elles mettent en valeur. Nous ne faisons pas tout à fait le même journal de Honfleur à Brest !
De fortes ventes, mais le lectorat de Ouest-France est vieillissant…Les jeunes achètent moins de journaux, cela ne signifie pas qu’ils ne les lisent pas. à preuve, lorsque nous mettons
Ouest-France à leur disposition dans les universités, grâce aux accords de partenariats passés avec ces établissements, les journaux sont emportés et nous n’en retrouvons pas un par terre. Le service est même, selon ce qui nous remonte, très apprécié.
Cette gratuité ne risque-t-elle pas de nuire aux ventes ?Les étudiants sont pauvres. Ils n’ont pas les moyens d’acheter le journal. De plus la jeune génération considère, avec le développement des radios, des télés et des journaux gratuits, qu’il ne faut pas payer pour acquérir de l’information, qu’il est normal qu’elle soit mise à disposition sans contrepartie financière. C’est une évolution de la société qui remet en cause ce qu’on appelle le modèle économique de la presse traditionnelle, qui dépense beaucoup d’argent pour collecter, traiter et distribuer l’information. La question de la gratuité est un grand défi à relever, car nous ne vivons pas dans une économie où la publicité peut assurer, comme aux états-Unis, 80 % des recettes des journaux. Nous ne sommes pas à 50 %. Alors, comment trouver les 50 % et quelques si les lecteurs ne veulent plus payer ? En abaissant la valeur de l’information ? Les dirigeants et les journalistes d’
Ouest-France n’y sont pas prêts. Il va falloir être imaginatifs….
Vous êtes Normand, votre travail à Ouest France vous a conduit à vivre en Bretagne. Vous êtes vous bien adapté à la vie en Bretagne ?J’ai passé la majorité de ma vie en Bretagne. Il y a un rapport aux gens qui est particulier. Je ne savais rien de la Bretagne avant d’y habiter. Les Bretons m’ont beaucoup appris : il y a ici une volonté de faire partager sa culture.
Et donc, que pensez vous des Bretons ?Les Bretons sont des entrepreneurs, très créatifs. Ils ont des racines profondes et en même temps des branches qui les emmènent jusqu’au bout du monde. Pour moi, le Breton rêve sa vie et vit ses rêves. Souvent je me dis en retournant dans ma région d’origine que le Normand regarde sa vie passer…
C’est une vraie déclaration !J’aime la Bretagne. Mais j’ai aussi besoin de la Normandie. Je suis devenu un peu Breton, je cultive les identités multiples ! Mais les Bretons ont également un versant sombre qui me fait peur. La violence des paysans et des pêcheurs. On ne tolérerait pas des banlieues le vingtième de ce qu’ont détruit les colères bretonnes… Et cette hyper alcoolisation des jeunes … Il y a une omerta sur ce sujet, une culture de l’alcool et maintenant des drogues, inquiétante pour l’avenir.
Peut-être est-ce le signe d’un malaise… Que pensez vous de la façon dont la France considère ses régions à forte identité ?Nous sommes dirigés par des gens incultes, qui pensent que l’unicité de l’état est attaqué par les revendications culturelles, l’attachement au patrimoine et au terroir, alors que la culture bretonne suscite curiosité et intérêt dans toute la France, dans toute l’Europe, et que l’on vient du bout du monde pour y goûter. à cela s’ajoute une méconnaissance de l’histoire quand ce n’est pas une peur d’assumer une histoire. Nos élites trahissent leurs territoires en permanence, fascinées par Paris, elles jouent souvent contre les régions, d’où l’impossibilité de réaliser une vraie décentralisation. Pourquoi ne donne-t-on pas à la Bretagne, comme elle le demande poliment mais avec insistance, la compétence de gérer l’eau et la langue régionale ? Personne ici ne demande l’indépendance, seulement de l’air pour administrer les choses de près, avec bon sens, dans l’écoute des gens. Moi aussi j’aime Paris, mais je déteste cette façon qu’ont nos élites de considérer les régions, au mieux comme des réservoirs de main d’œuvre dociles, au pire des espaces de week-end où l’on vient se détendre en faisant bien attention de ne surtout pas se mêler aux indiens du cru, sauf pour l’album photo…
Donc cela ne vous choque pas que des Bretons (Français) déclarent se sentir Bretons ?On parle de patrimoine. On sauve des pierres, de l’herbe et de la terre. Et on ne ferait rien pour sauver la culture ? Une culture pourtant porteuse de valeurs humaines. C’est fondamental de se préoccuper de la culture pour bien vivre la mondialisation, sinon qu’aurons nous à échanger, à partager avec les autres ?
Alors, la Loire Atlantique, doit-elle revenir en Bretagne ?Cette trahison des élites fait que nous avons ce type de débats stériles. On voudrait que les Bretons ne vivent pas ensemble. La tendance au repli identitaire de certains groupuscules vient de cette trahison des élites.
Alors Nantes…Nantes est une capitale bretonne ! Le jour ou Nantes et Rennes feront une alliance, ce sera une force et une fierté pour la Bretagne. Ne pas prendre en compte cela, c’est nier les Bretons eux-mêmes. Le schéma administratif est artificiel. La France sera plus belle, plus riche si la Bretagne est à l’aise, si les Normands sont à l’aise… Ce qui n’empêche pas l’existence d’un état fort. Mais quand on vous dit que la culture de votre père, de votre grand-père ne vaut rien, vous ne pouvez pas être heureux. Les particularismes peuvent et doivent servir l’universel. Priver les Bretons de leur culture, de leur territoire, c’est les contraindre dans un réduit et les inciter à se recroqueviller.
Il faudrait donc encourager la pratique de la langue bretonne ?C’est très bien le breton. Vous ne pouvez pas dire qu’un enfant qui parle deux ou trois langues sera mieux armé face à la mondialisation, comme on le dit justement en vantant les apprentissages simultanés de l’anglais, de l’allemand, de l’espagnol et de l’italien, et refuser l’étude et la pratique du breton ! Du moment que l’enseignement du breton n’est pas imposé à tout le monde ! Il y a un autisme irresponsable de l’état français sur cette question. L’état devrait faire quelque chose depuis longtemps : on finance bien les lycées musulmans.
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